On parle souvent de stratégie, de business plan, de capital social et de structure juridique quand on évoque la création d’entreprise. On parle moins, beaucoup moins, de ce que cela demande en termes d’endurance, de lucidité, et, disons-le, de robustesse mentale. Pourtant, c’est là que tout commence. Pas dans le tableau Excel, mais dans la tête. Être patron, c’est d’abord accepter de porter seul — ou presque — la charge de tout ce qui compte.
Ce n’est pas un titre, c’est une fonction. Et cette fonction s’exerce sous pression. Pression de l’incertitude, pression du résultat, pression sociale aussi. Le patron n’a pas toujours raison, mais il doit toujours trancher. Ce n’est pas un poste d’expert. C’est un poste de décision. Ce qu’on attend de lui, ce n’est pas qu’il sache tout faire, mais qu’il assume tout ce qui est fait. C’est une posture qui nécessite une vraie stabilité émotionnelle. Pas l’absence de doute. Mais la capacité à continuer à agir avec le doute dans la pièce.
La première aptitude mentale, c’est l’acceptation du risque. Pas le fantasme de l’audace, mais la confrontation réelle à l’inconnu. Il n’y a pas de garantie quand on crée. Ni de revenu, ni de validation, ni d’itinéraire balisé. Celui qui entreprend prend le risque de se tromper, de devoir recommencer, de devoir justifier sans cesse ses décisions. Et pour beaucoup, c’est un changement de paradigme : dans un parcours salarié, on attend la validation d’un supérieur. En tant que patron, il n’y a pas de supérieur. Juste des conséquences.
Deuxième aptitude : la gestion du temps sous contrainte cognitive. En clair : la surcharge mentale. Le dirigeant est en permanence en train d’alterner entre stratégie, exécution, gestion RH, anticipation financière, pilotage juridique, posture commerciale. Ce millefeuille cognitif génère un bruit de fond quasi permanent. Ceux qui tiennent sur la durée ne sont pas les plus brillants, mais les plus capables de compartimenter. De prioriser. De déléguer sans abandonner. Et surtout : de ne pas confondre urgence et importance.
La troisième dimension, c’est la solitude. Un sujet que beaucoup découvrent trop tard. Parce que même avec une équipe, être patron, c’est être à part. Il y a une ligne invisible entre celui qui porte le risque et ceux qui exécutent. Ce n’est pas une question de valeur, c’est une question de structure. Les salariés attendent une direction, un cadre, un cap. Le fondateur, lui, ne peut pas toujours verbaliser ses incertitudes. Il doit les contenir. Les digérer. Et continuer à avancer. Cette solitude-là peut être ravageuse. Et c’est pour ça qu’il faut apprendre à s’entourer : pas uniquement d’associés ou de managers, mais aussi d’alter ego avec qui on peut parler sans enjeu.
Quatrième point : la gestion du conflit. Être patron, ce n’est pas faire plaisir. C’est arbitrer. Et parfois, trancher dans le vif. Entre deux collaborateurs. Entre deux visions. Entre deux urgences. Cela demande de la clarté. Et du courage. La capacité à affronter l’inconfort sans se dérober. Et à rester ferme sans devenir dur. La fermeté bienveillante, ce n’est pas un slogan de management. C’est une discipline. Une mécanique. Et c’est là qu’on reconnaît un bon dirigeant : à sa capacité à poser un non sans que le système s’effondre derrière.
Enfin, il y a la persévérance. Le mot est galvaudé. Mais il reste juste. Être patron, c’est subir des hauts et des bas. Des moments d’euphorie et des traversées du désert. La vraie compétence, ce n’est pas de réussir un lancement. C’est de continuer à livrer quand plus rien ne fonctionne comme prévu. De savoir quand il faut insister, et quand il faut pivoter. Et ça, ça ne s’apprend pas dans un MOOC. Ça s’éprouve. Par l’expérience. Par l’échec aussi. Et par la répétition.